Cass. soc., 10 sept. 2025, n°24-12.900 ; 23-19.841

Les interférences entre droit du travail et droit de la sécurité sociale continuent de nourrir la jurisprudence. Il faut dire que l’un emporte de grandes conséquences sur l’autre ; de la réalisation d’un risque professionnel pris en charge par la CPAM lors de l’exécution du contrat de travail découlent (i) la protection prohibant tout licenciement hors le cas du licenciement pour faute grave ou résultant d’une impossibilité de maintenir le contrat, et (ii) les conditions dans lesquelles sera indemnisé le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement si l’état de santé du salarié se dégrade au point qu’il ne puisse plus occuper ses fonctions.

L’enjeu opérationnel et juridique est donc de taille lorsque le salarié indique souffrir d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle et que l’employeur en conteste la matérialité. Sur ce point, c’est la CPAM qui, chronologiquement et au regard de sa compétence, va en premier trancher cette question. Reste à savoir si le juge prud’homal est lié par la décision de la caisse lorsqu’il doit indirectement en droit du travail appréhender cette question.

Dans ses deux arrêts du 10 septembre 2025, la chambre sociale répond par la négative et rappelle que le juge prud’homal n’est pas irrévocablement lié par les décisions de la CPAM (1), ce qui lui permet de forger sa propre conviction sur le caractère professionnel de l’affection en cause au travers de l’ensemble des pièces qui lui sont produites (2).

  1. L’autonomie de principe du juge prud’homal par rapport aux décisions de la CPAM

L’autonomie du droit du travail par rapport au droit de la sécurité sociale est un principe prétorien acquis. La Cour de cassation en avait fait notamment application à l’occasion d’un premier arrêt remarqué de 1996 (Cass, soc, 23 mai 1996, n° 93-41.940). Depuis, la jurisprudence est constante : les décisions de la CPAM, de la CRA ou du pôle social du Tribunal judiciaire ne constituent que de simples indices ; le juge prud’homal doit former sa propre conviction, le plus souvent dans le cadre du contentieux tenant à l’origine de l’inaptitude, au vu de l’ensemble des éléments versés au débat (En ce sens : Cass, soc, 22 nov. 2017, n°16-12.729 ; Cass. soc., 10 avr.2019, n°17-24.091).

Cependant, un arrêt récent avait rebattu les cartes de cette analyse puisque la Cour de cassation avait retenu qu’il n’appartenait pas au juge prud’homal d’apprécier le caractère professionnel d’un accident ou d’une maladie lorsque la CPAM a pris en charge ces affections et que sa décision n’a pas été remise en cause (Cass. Soc. 18 septembre 2024, n°22-22.782).

Dans ses arrêts de septembre 2025, la Cour de cassation semble adopter une position bien plus nuancée en considérant qu’il appartient au juge prud’homal de former sa conviction sur la base de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis, la seule décision de prise en charge d’un arrêt de travail au titre de la législation sur les risques professionnels n’étant pas de nature à constituer à elle seule la preuve de l’origine professionnelle de l’accident Véritable revirement ou simple articulation à opérer ?

2. Un pouvoir d’appréciation du juge prud’homal encore à clarifier

A l’interrogation posée, l’articulation semble être la réponse qu’apporte ici la Cour de cassation, qui devra dans tous les cas se montrer plus claire sur l’appréciation qu’est susceptible de porter le juge prud’homal sur une décision de prise en charge de la CPAM.

Dans la première affaire (24-12.900), en effet, la Cour de cassation a admis que les juges du fond pouvaient écarter l’application de l’article L. 1226-9 du Code du travail, dès lors que l’origine de la suspension du contrat de travail, durant laquelle la relation contractuelle avait été rompue, n’était pas suffisamment établie : les éléments médicaux et factuels relatifs au caractère professionnel de l’accident initial, pourtant pris en charge par la CPAM mais ensuite déclaré inopposable à l’employeur, étaient insuffisants pour en démontrer la survenance.

Dans la seconde affaire (23-19.841), la Cour de cassation a, cette fois, admis que les juges du fond pouvaient écarter l’origine professionnelle de l’inaptitude : celle-ci ne procédait pas d’une maladie professionnelle, bien que la demande, régularisée par le salarié, ait été prise en charge par la CPAM, avant d’être finalement déclarée inopposable à l’employeur en raison du caractère tardif du diagnostic et de l’absence d’exposition effective du salarié.

Autrement dit, dans les deux cas, les prises en charge de l’accident du travail et de la maladie professionnelle par la caisse avaient été remis en cause par l’employeur qui en avait obtenu l’inopposabilité. Une donnée bien différente par rapport à l’arrêt de 2024, dans lequel l’accident du travail avait été pris en charge par la caisse sans que cette décision n’ait été remise en cause ensuite.  

Dès lors, ces décisions donnent à voir tout l’office du juge prud’homal, compétent pour reprendre un à un les étapes du (pré)contentieux de la sécurité sociale, et se forger sa propre conviction sur l’ensemble des éléments qui sont portés à sa connaissance, principalement (et exclusivement) lorsque la décision de prise en charge initiale a été remise en cause dans le cadre d’un recours formé par l’employeur ou le salarié.

L’autonomie du juge prud’homal, quant à l’appréciation du caractère professionnel d’un accident ou d’une maladie, semble donc tenir, à la lecture de ses arrêts, aux recours diligentés avec succès par l’employeur et le salarié dans leur rapport avec la caisse de sécurité sociale.


Pour aller plus loin

Vous souhaitez recevoir nos newsletters, informations et actualités ?

Inscrivez-vous ici