Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 avril 2024, 23-11.767, Inédit

Selon l’article L. 1152-1 du Code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Aux termes de l’article L. 1154-1 du même code, le salarié présente tout élément de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Une fois la présomption établie, il revient à l’employeur de démontrer que les mesures étaient justifiées par des motifs étrangers à tout harcèlement.

Ainsi, il revient au juge, dans un premier temps, d’analyser les éléments apportés par les salariés afin de se prononcer sur l’existence d’une présomption de harcèlement moral, puis dans un second temps, d’apprécier si les éléments apportés par l’employeur en justification permettent d’écarter cette présomption.

Dans cet arrêt du 3 avril 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle l’office du juge en la matière qui doit tenir compte de l’ensemble des éléments invoqués par le salarié pour apprécier si les faits matériellement établis permettent de présumer de l’existence d’un harcèlement moral.  

En l’espèce, un salarié engagé en qualité d’agent technique à compter du 21 octobre 1985, puis promu en tant que responsable d’agence en 2005, a fait l’objet de plusieurs arrêts de travail pour maladie à compter du 11 mars 2005. Le 4 juin 2016, ce même salarié est décédé des suites d’une tentative de suicide. Par une décision du 10 mars 2017, la CPAM compétente a qualifié la tentative de suicide et le décès qui en est résulté d’accident du travail.

Le 12 janvier 2018, une ayant droit du salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Nîmes de demandes indemnitaires, faisant valoir l’existence d’un harcèlement moral subi par le salarié.

Par un arrêt du 14 juin 2022, la Cour d’appel de Nîmes a confirmé le jugement rendu en première instance, et énoncé que les éléments apportés par la demanderesse étaient insuffisants à laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral. Elle a en effet retenu que les pièces médicales versées par la partie demanderesse n’étaient que des restitutions de déclarations faites par le salarié aux professionnels de santé, lesquels n’ont été témoins d’aucune des situations décrites par l’intéressé. Ainsi, la Cour d’appel écarte l’existence d’une présomption de harcèlement moral en faveur du salarié.

L’ayant-droit du salarié se pourvoit en cassation. Elle fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de l’avoir déboutée de ses demandes sans avoir pris en compte l’ensemble des éléments qu’elle produisait.

La question posée à la Cour de cassation était donc relative à l’office du juge de tous les éléments de preuve fournis par le salarié afin de caractériser une présomption de harcèlement, et plus précisément, sur la prise en compte des documents médicaux attestant de la souffrance psychologique liée au travail.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Nîmes. Elle sanctionne ici l’analyse incomplète par les juges du fond des éléments invoqués par le salarié. La Cour d’appel n’avait en effet pas pris en compte l’un des comportements de l’employeur visé par le salarié (le fait d’avoir fixé au salarié un rendez-vous dans le hall d’un hôtel durant son arrêt maladie par lettre recommandée), ainsi que les éléments médicaux produits relevant la souffrance au travail du salarié.  

Cette décision constitue ainsi un rappel du devoir des juges d’analyser tous les éléments de faits présentés par le salarié arguant d’un harcèlement moral, et de les apprécier dans leur globalité, sans en écarter aucun, pour déterminer s’il y a une présomption de harcèlement et renversement de la charge de la preuve sur l’employeur.

Elle s’inscrit dans la même logique que celle retenue dans les précédents arrêts de la Cour de cassation notamment les arrêts n°14-13.418 du 8 juin 2016, n°19-15.832 du 27 janvier 2021 ou n°21-20.572 du 15 février 2023, qui jugeaient qu’il « appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail, et, dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».


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