Cour de cassation, Chambre sociale, 4 septembre 2024, n°22-20.917

Dans un arrêt rendu le 4 septembre 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation a pu préciser la portée de l’attestation du médecin quant à l’appréciation du préjudice d’anxiété lié à l’exposition à des substances nocives ou toxiques.

Tout salarié exposé à l’amiante ou à une autre substance nocive ou toxique peut obtenir réparation de son préjudice d’anxiété constitué par les troubles psychologiques engendrés par la connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave (Cass. Soc. 11 septembre 2019, n°17-24.879), en plus de son action en réparation du manquement à l’obligation de sécurité. Le salarié doit pour cela apporter la preuve :

  • De son exposition aux substances
  • De son préjudice personnellement subi (Cass. Ass. Plen. 5 avril 2019, n°18-17442).

En l’espèce, quatre salariés avaient été engagés par une société entre 1975 et 1983 et avaient fait valoir leurs droits à la retraite respectivement entre mai 2010 et décembre 2016. Un médecin avait alors rédigé des documents énumérant les produits auxquels les salariés avaient pu être exposés durant leur activité professionnelle.

Les salariés avaient saisi la juridiction prud’homale de demandes en réparation de leur préjudice d’anxiété lié à leur exposition professionnelle à différents produits chimiques par suite d’un manquement de la société à son obligation de sécurité ; et la remise, sous astreinte, des attestations d’exposition aux agents CMR (Cancérogène, Mutagène et Reprotoxique) et à l’amiante.

Par jugements du 8 juillet 2021, le conseil de prud’hommes de Marseille avait débouté les salariés de ces demandes, notamment car les conseillers estimaient que les documents produits étaient insuffisants pour faire la preuve de l’exposition et du préjudice personnellement subi. Les salariés avaient interjeté appel. Par quatre arrêts rendus le 1er juillet 2022, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait alors confirmé les jugements entrepris, sauf en ce qu’ils déboutaient les salariés de leur demande de délivrance des attestations d’exposition aux produits cancérogènes CMR visés.

Les salariés ont formé un pourvoi en cassation, faisant grief aux arrêts de :

  • Les débouter de leurs demandes de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice d’anxiété lié à leur exposition professionnelle à différents produits chimiques par suite d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ;
  • De rejeter leurs demandes de dommages-intérêts pour non remise par l’employeur des fiches d’exposition (obligation conventionnelle) aux agents CMR et à l’amiante ;
  • De les débouter de leurs demandes de dommages-intérêts pour non remise par l’employeur des attestations d’exposition (obligation légale) aux agents CMR et à l’amiante

Selon le premier moyen émis par les salariés, la preuve du préjudice d’anxiété est une preuve impossible en ce qu’elle est difficile à apporter, si bien que la seule démonstration d’une exposition à l’amiante ou toute autre substance nocive durant l’activité professionnelle devrait suffire à démontrer le préjudice moral subi par le salarié.

Selon les deuxième et troisième moyens émis par les salariés, le manquement de l’employeur à son obligation de délivrer les fiches et attestations d’exposition aux agents CMR et à l’amiante est générateur d’un préjudice réparable de fait. Ainsi, la demande était en réalité de faire admettre par les juges l’existence d’un préjudice nécessaire par la non remise de ces documents.

Les questions posées à la Cour de cassation étaient donc :

  • Celle de savoir si l’attestation par le médecin de l’exposition aux produits chimiques cancérogènes durant l’activité professionnelle pouvait à elle seule démontrer une exposition générant un risque élevé de développer une maladie grave ; et,
  • Celle de savoir si la non remise des fiches et attestations d’exposition à des substances nocives et toxiques par l’employeur entrainait une réparation sans que le salarié n’ait à démontrer un préjudice.

La chambre sociale, par l’arrêt du 4 septembre 2024 répond par la négative et confirme les arrêts de la Cour d’appel de Versailles. Elle estime en effet que l’attestation rédigée par le médecin du travail énumérant les produits auxquels les salariés avaient pu être exposés au cours de leur activité professionnelle ne suffisait pas à démontrer une exposition générant un risque élevé de développer une pathologie grave. En effet, le document ne décrivait pas la situation d’exposition personnelle ni les postes effectivement occupés au contact de la substance nocive ou toxique. Par ailleurs, la Cour estime que si l’employeur n’a en effet pas remis les fiches et attestation d’exposition aux salariés, ces derniers ne justifient d’aucun préjudice lié à ce manquement.

Le principe d’appréciation souveraine des juges du fond quant aux éléments de preuve de l’exposition personnelle des salariés générant un risque élevé de pathologie grave est donc maintenu. Il avait déjà été jugé que la seule attestation de l’employeur quant à l’exposition à une substance nocive ou toxique ne suffisait pas à caractériser le préjudice d’anxiété du salarié (Cass. Soc. 13 octobre 2021 n°20-16.585), puisque le salarié doit encore apporter la preuve de son préjudice d’anxiété « personnellement subi ». L’arrêt du 4 septembre 2024 vient préciser ce principe en restreignant la portée de l’attestation du médecin attestant d’une telle exposition, ne permettant pas non plus de démontrer le préjudice d’anxiété.


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