Cour de cassation, Chambre sociale, 11 décembre 2024 – n° 23-15.154
Dans cette affaire, un employeur, la société, conteste en justice la décision du CSE de recourir à un expert en raison d’un risque grave. Dans le cadre de ce contentieux, le CSE produit des témoignages anonymisés de salariés pour établir l’existence d’un risque grave. La société a saisi le président du tribunal judiciaire d’une procédure accélérée au fond afin de faire écarter des débats lesdits témoignages. Ses demandes ont été accueillies par le président du tribunal judiciaire qui, par ordonnance, a déclaré irrecevables les pièces litigieuses.
Le CSE a alors formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette ordonnance.
En l’espèce, les témoignages démontraient une altération des conditions de travail, s’illustrant par une surcharge de travail, des moyens professionnels défaillants et inadéquats, ainsi qu’une pression managériale constante dans un climat de tensions. Le CSE soutenait que le principe du contradictoire ne faisait pas obstacle à ce qu’en présence d’un risque de représailles pour les salariés témoins, soient produites des attestations anonymisées, dont les données permettant d’identifier les personnes ayant témoigné soient réservées au juge, dès lors que ces attestations étaient corroborées par d’autres éléments de preuve. Le CSE estimait alors que l’ordonnance rendue contrevenait aux articles 15 et 16 du CPC en considérant que ces éléments devaient être déclarés irrecevables, en ce qu’ils n’avaient pas été débattus contradictoirement par la société.
La Cour de cassation a considéré, au visa de l’article 6 §1 et 3 de la CEDH, garantissant le droit à un procès équitable, que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes. En revanche, il peut tenir compte de témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est cependant connue de la partie qui produit ces témoignages, dès lors que ces derniers sont corroborés par d’autres éléments attestant de leurs crédibilité et pertinence.
Ainsi, il appartenait au président du tribunal judiciaire d’examiner la valeur et la portée des témoignages ainsi que des autres pièces dont il avait constaté la production par le CSE.
Cet arrêt apporte ainsi un exemple important des conditions dans lesquelles le CSE peut utiliser des témoignages anonymisés comme éléments de preuve. Plus encore, il transpose au CSE le régime des témoignages anonymisés, déjà évoqué dans des contentieux opposant l’employeur à ses salariés.
Tel était par exemple le cas dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon, le 9 octobre 2024 (nº 22/01937), ou encore par la chambre sociale de la Cour de cassation, Chambre sociale, le 19 avril 2023, (nº 21-20.310) dans lesquels ces juridictions avaient pu juger à l’identique, qu’il était possible pour le juge de prendre en considération des témoignages rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs, mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence.