Deux salariés ont été embauchés au sein de la société Leroy Merlin. L’un en CDI en tant qu’« hôte service clients », l’autre en CDD, embauchée selon le même intitulé de poste. Les deux salariés étaient affectés au même site, dans le même rayon. Les deux salariés entrainaient une relation intime – certainement en situation de concubinage –, ce qu’ignorait l’employeur qui l’a appris à l’occasion du placement en isolement de l’un d’entre eux, lorsqu’il a dû recenser la liste de ses cas contacts (dans le contexte de la crise de la Covid-19). Dès lors que l’employeur a eu connaissance de cette situation, les plannings des deux salariés auraient été modifiés afin qu’ils ne puissent pas travailleur selon les mêmes horaires et de telle manière qu’ils n’avaient aucun jour de repos en commun. En effet, l’employeur se prévalait d’un usage interne consistant à ne pas faire travailler ensemble des salariés ayant un lien de parenté ou en couple selon le même horaire de travail. Les salariés concernés se sont plaints de cet usage auprès de la direction du magasin. L’un des salariés a fait une demande de mutation et alternativement une demande de rupture conventionnelle qui lui ont été refusées ; le salarié a ensuite été placé en arrêt maladie, puis s’est mis en abandon de poste avant de se faire licencier le 16 juillet 2021. Le CDD de sa concubine n’a pas été renouvelé, motif pris de la relation qu’elle entretenait avec son collègue-concubin.
Selon l’enquête menée par la Défenseure des droits, l’employeur reconnaît l’existence de cet usage qu’il justifie afin de préserver une bonne relation entre chaque collaborateur au sein de la même équipe et prévenir tout conflit d’intérêt en matière de gestion et de management. La Défenseure des droits estime que cet usage est contraire à de nombreux principes en droit positif. Sont ainsi mobilisés tout à la fois les textes et la jurisprudence traditionnels prohibant la discrimination en raison de la situation de famille, tant sur le plan civil (C. trav., art. L. 1132-1 ; L. n° 2008-496 du 27 mai 2008, art 1er) que pénal (C. pén., art. 225-1), que ce soit au stade de la formation du contrat de travail (C. trav., art. L. 1221-6, L. 1222-2, L. 5321-2 ; C. pén., 225-2-5°), de son exécution (v. par ex. : Cass. Soc., 10 juin 1982, n° 80-40.929, retenant que la clause d’un règlement intérieur interdisant à deux conjoints de travailler simultanément est illicite), ou de sa rupture (v. par ex. : Cass. Soc., 30 mars 1982, n° 79-42.107, retenant que le licenciement d’une salariée fondé sur la relation qu’elle entretient avec son supérieur hiérarchique est infondé car constituant une immixtion abusive de l’employeur dans sa vie privée). La Défenseure des droits rappelle en outre les textes internes et internationaux protégeant toute personne contre une immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie privée et familiale (C. civ., art. 9 ; CESDH, art. 8 ; PIDCP, art. 17).
La Défenseure des droits déduit de ces textes et d’un principe général de non-discrimination que « l’employeur ne peut licencier ou sanctionner un salarié qui n’aurait pas respecté une clause contractuelle ou d’un règlement intérieur qui serait illicite, ou encore un usage de l’entreprise portant atteinte à ses droits fondamentaux, même en invoquant d’éventuels conflits futurs » (n° 43). En effet, la Défenseure des droits relève que l’usage consistant à moduler les horaires des salariés en fonction de leur situation de famille ou à arrêter les décisions de mutation en considération de ce critère « est discriminatoire dans la mesure où les salariés n’ont aucune obligation de préciser la teneur de leur relation, ni au moment de leur embauche, ni pendant l’exécution de leurs contrats de travail ».
Ainsi a-t-elle constaté que les deux salariés ont été victimes de mesures discriminatoires de la part de leur ancien employeur, ce dernier n’apportant pas la preuve que sa décision était justifiée par des éléments étrangers à toute discrimination. La Défenseure des droits recommande ainsi à la société Leroy Merlin de procéder à une juste réparation de leur préjudice, de modifier ses pratiques en matière de planification des horaires de travail de ses salariés afin de respecter le principe de non-discrimination, de sensibiliser l’ensemble des responsables à la non-discrimination et de rendre compte des suites données à cette recommandation. Rien n’est dit concernant une éventuelle saisine du juge prud’homal à ce stade.