CJUE, 9 nov. 2023, aff. C-271/22 à C-275/22, Keolis Agen
C’est dans le contexte mouvementé des décisions de la Cour de cassation du 13 septembre 2023, qui ont mis en conformité la jurisprudence nationale avec les exigences du droit européen concernant l’acquisition de congés payés pendant une période d’absence, que les précisions de la CJUE en la matière étaient attendues et ce, bien que celles-ci semblent se limiter aux 4 semaines de congés payés.
En l’espèce, plusieurs salariés qui avaient fait l’objet d’arrêts maladies pendant de longues périodes et dont le contrat de travail avait été soit maintenu, soit rompu, reprochaient à leur employeur de ne pas leur avoir permis d’acquérir des congés payés pendant ces périodes d’absence. Aussi, après l’expiration de la période de référence ouvrant droit à congés payés, ces salariés réclamaient, sur le fondement de la législation européenne et selon leur situation, soit la possibilité de prendre les jours de congé annuel dont ils avaient été privés pendant leurs périodes de maladie, soit une indemnité compensatrice de congés payés.
La société refusait ces demandes estimant qu’en application des dispositions légales nationales, ces derniers n’avaient pas acquis de droit au congé annuel au cours de ces périodes d’arrêt maladie puisque ces dernières n’étaient pas d’origine professionnelle.
Alors saisie de 3 questions préjudicielles par le Conseil de prud’hommes d’Agen, la CJUE s’est de nouveau prononcée, le 9 novembre 2023, sur la question du report du droit à congés payés des salariés placés en arrêt maladie. Plus précisément, la Cour a répondu à 2 questions portant notamment sur les modalités de fixation d’une durée maximale de report de la prise de congés payés.
1-Sur la durée de report « raisonnable » des congés payé acquis
La première question d’importance posée était celle de savoir ce qu’était la durée de report « raisonnable » des 4 semaines de congés payés acquis au sens de la directive ?
La CJUE se déclare incompétente pour répondre à cette question, estimant en effet qu’il appartient aux États membres de définir, dans leur réglementation interne, les conditions d’exercice et de mise en œuvre du droit au congé annuel, en précisant les circonstances concrètes dans lesquelles les travailleurs peuvent faire usage dudit droit.
Ainsi, la fixation d’une période de report pour congés annuels non pris à la fin d’une période de référence relève donc, en principe, de la compétence des États membres.
À noter toutefois que la Cour ajoute qu’elle reste compétente pour intervenir, en aval, à l’occasion d’un litige, pour « examiner si la durée de report fixée par l’État membre concerné n’est pas de nature à porter atteinte à ce droit au congé annuel payé ».
2-Sur les limitations possibles au droit au congé annuel
La deuxième question posée était celle de savoir si l’application d’un délai de report illimité à défaut de disposition nationale, réglementaire ou conventionnelle encadrant ledit report, est ou non contraire à la directive.
À ce sujet, la CJUE estime que les dispositions européennes ne s’opposent pas à des dispositions ou des pratiques nationales limitant le cumul des droits au congé annuel payé par une période de report à l’expiration de laquelle ces droits s’éteignent, pour autant notamment que :
- ladite période de report garantisse notamment au travailleur de pouvoir disposer, au besoin, de périodes de repos susceptibles d’être échelonnées, planifiables et disponibles à plus long terme,
- et qu’elle dépasse substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée.
En l’espèce, la Cour considère qu’en l’absence de disposition nationale prévoyant une limite temporelle expresse au report de droits à congé annuel payé acquis et non exercés en raison d’un arrêt de travail pour maladie de longue durée, il convient de faire droit aux demandes de congé annuel payé introduites par un travailleur moins de 15 mois après la fin de la période de référence ouvrant droit à ce congé et limitées à 2 périodes de référence consécutives.
Par conséquent, une nouvelle fois à n’en pas douter, tant le juge que le législateur français devraient rapidement se saisir de cet apport pour tenter de mettre en conformité le droit interne avec le droit de l’Union européenne.