Cass. Soc., 10 juillet 2024, n°23-14.900, Publié
Dans un arrêt rendu le 22 décembre 2023, la Cour de cassation réunie en assemblée plénière affirmait de manière inédite que la déloyauté d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats. Ce principe, formulé à de nombreuses reprises depuis, est rappelé par la Haute juridiction dans un arrêt du 10 juillet 2024.
En l’espèce, une salariée a été licenciée en juin 2015. Soutenant avoir subi un harcèlement moral, elle a saisi la juridiction prud’homale en octobre 2015 et demande le paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral et licenciement abusif.
Au soutien de ses demandes au titre du harcèlement moral, la salariée apportait la retranscription d’un enregistrement d’un entretien avec son employeur. L’enregistrement a été réalisé à l’insu de ce dernier.
La Cour d’appel de Montpellier, dans sa décision du 29 juin 2022 (n°22/00555) – donc antérieure au revirement de jurisprudence intervenue en décembre 2023 – a écarté l’enregistrement clandestin des débats. Les juges du fond considèrent que contrairement à ce que précise la salariée, elle avait d’autre choix que d’enregistrer cet entretien pour prouver la réalité du harcèlement subi depuis plusieurs mois. La Cour d’appel juge que l’enregistrement est « contraire au principe de la loyauté dans l’administration de la preuve » et que l’atteinte portée aux principes protégés en l’espèce n’était pas strictement proportionnée au but poursuivi.
La salariée forme un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation casse la décision de la Cour d’appel, au motif qu’il appartenait aux juges du fond de vérifier si la production de l’enregistrement de l’entretien, effectué à l’insu de l’employeur, était indispensable à l’exercice du droit à la preuve du harcèlement moral allégué.
Elle rappelle que l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats.
Il reviendra en effet aux juges du fond d’apprécier au cas par cas si la preuve déloyale ou illicite produite au débat est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte aux autres droits, notamment le respect de la vie personnelle, est strictement proportionnée.
L’enregistrement clandestin, et plus largement la preuve déloyale, n’est pas inconditionnellement consacré par la Cour de cassation et ne saurait devenir un moyen de preuve courant. Le recours à de telles démonstrations reste strictement encadré, et la recherche de la vérité ne l’emporte pas toujours sur la loyauté probatoire.
L’enregistrement, bien qu’il permette de capter un instant, peut-il refléter l’étendue d’une situation entre employeur et salarié ? Dans quelles mesures l’enregistrement d’un instant précis peut permettre de démontrer les agissements répétés nécessaires à la qualification du harcèlement moral (Article L.1152-1 du Code du travail) ? Dès lors, un enregistrement clandestin ne peut être retenu pour prouver un harcèlement moral que subit une salariée, uniquement si celui-ci est indispensable à l’exercice du droit de la preuve.