Cass. soc., 17 janvier 2024, n°22-17.474

Pour rappel, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a récemment opéré un revirement de jurisprudence en admettant qu’une partie puisse en matière civile se prévaloir d’une preuve illicite ou déloyale, à condition que cette production soit (1) indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que (2) l’atteinte aux droits antinomiques en présence (en l’occurrence le droit à la vie privée) soit strictement proportionnée au but poursuivi (Cass. AP., 22 décembre 2023, n° 20-20.648) [sur ce point, voir notre OD Flash du 9 janvier 2024].

Par une décision du 17 janvier 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation applique, pour la première fois, cette nouvelle jurisprudence en appréciant le caractère indispensable du moyen de preuve produit.

Faits. En l’espèce, un salarié a saisi la juridiction prud’homale aux fins de faire résilier son contrat de travail, en invoquant un harcèlement moral de son employeur dans le contexte du licenciement de son supérieur hiérarchique.

Il produisait dans le cadre du contentieux l’enregistrement clandestin d’un entretien avec le CHSCT, dans le cadre de l’enquête sur la situation de harcèlement moral dénoncée.

Procédure. Devant la Cour d’appel de Paris, cette pièce est écartée des débats.

Le Salarié a donc formé un pourvoi en cassation.

Solution. La chambre sociale de la Cour de cassation confirme la solution récente de l’assemblée plénière, en rappelant que : « dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

La Haute juridiction constate ensuite que :

  • Le médecin du travail et l’inspecteur du travail avaient été associés à l’enquête menée par le CHSCT, de sorte que l’impartialité du comité ne pouvait être remise en cause ; et que
  • Le salarié produisait d’autres éléments de preuve, lesquels laissaient supposer l’existence d’un harcèlement moral.

Dans le cadre de la mise en balance, la Cour de cassation en a ainsi conclu que la production de cet enregistrement clandestin n’était pas indispensable à l’exercice du droit de la preuve du salarié. Dès lors, la Cour de cassation confirme l’analyse des juges du fond.

Par cet arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation confirme que le principe reste l’absence de recevabilité des éléments de preuves déloyaux/illicites, et que la solution dégagée par l’assemblée plénière demeure l’exception. Cette décision permet également de disposer d’une première illustration de l’appréciation qui est faite du caractère indispensable d’un élément de preuve déloyal/illicite.


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