Cour de cassation, Chambre sociale, 22 janvier 2025 – n° 23-17.782
Dans cette affaire, à la suite de projets de restructurations, des salariés ont exercé leur droit de grève pendant plusieurs jours. Considérant que la grève était consécutive à une faute de l’employeur, qui, en refusant de donner aux représentants du personnel les informations nécessaires sur les dangers qui pesaient sur la succursale française de l’entreprise, aurait « généré un stress et une angoisse intense des salariés » les contraignant à faire une grève de longue durée, la fédération des employés et cadres Force ouvrière (le syndicat FEC-FO) et les salariés grévistes ont demandé à l’employeur de régler les salaires afférents aux jours de grève.
Face à son refus, le syndicat l’a assigné, par acte du 21 mai 2021, devant le tribunal judiciaire aux fins de lui ordonner de régulariser la situation de ses salariés ou anciens salariés ayant participé à la grève en leur versant le salaire ainsi que les différentes primes dont ils ont été privés du fait de cette participation, et de le condamner à verser au syndicat FEC-FO une somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession.
Les juges du fond rejettent la demande du syndicat concernant la régularisation des sommes à verser aux salariés. Un appel est interjeté, le déboutant à nouveau de ses demandes. Le syndicat se pourvoit alors en cassation, soutenant qu’il résulte de l’article L. 2132-3 du Code du travail qu’un syndicat peut agir en justice afin de contraindre un employeur à mettre fin à une situation illicite. Sur ce fondement, il est recevable à demander qu’il soit enjoint à l’employeur de régulariser les situations individuelles des salariés ayant participé à une grève menée en réaction au comportement fautif de l’employeur.
Sur ce point, la Cour de cassation rappelle qu’en vertu de l’article L.2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice, notamment sur le fondement de l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent, dès lors qu’un préjudice direct ou indirect lui a été causé. Il résulte de ce texte qu’un syndicat peut agir en justice pour faire reconnaître l’existence d’une irrégularité commise par l’employeur au regard de dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles ou au regard du principe d’égalité de traitement et demander, outre l’allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice ainsi causé à l’intérêt collectif de la profession, qu’il soit enjoint à l’employeur de mettre fin à l’irrégularité constatée. En revanche, un syndicat n’est pas recevable à obtenir du juge qu’il condamne l’employeur à régulariser les situations individuelles des salariés concernés, une telle action relevant de la liberté personnelle de chaque salarié de conduire la défense de ses intérêts.
Par conséquent, l’action ayant vocation à ce que soient payés aux salariés grévistes les salaires ainsi que les différentes primes dont ils ont été privés du fait de leur participation à la grève ne constitue pas une action dans l’intérêt collectif de la profession, puisqu’elle tend à régulariser les situations individuelles des salariés, peu important qu’ils n’aient pas été nommément désignés. La Cour de cassation approuve donc l’arrêt d’appel la jugeant irrecevable.
En revanche, l’action engagée par un syndicat afin de faire juger que des salariés se trouvaient dans une situation contraignante telle qu’ils ont été obligés de cesser le travail pour faire respecter leurs droits essentiels, directement lésés par suite d’un manquement grave et délibéré de l’employeur à ses obligations, et à obtenir à ce titre la condamnation de l’employeur à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts, constitue une action engagée dans l’intérêt collectif de la profession.
Cet arrêt s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence désormais bien établie visant à séparer distinctement les demandes relevant effectivement de l’intérêt collectif de la profession de celles ne relevant que de la liberté individuelle des salariés, pour lesquelles les syndicats ne sont pas recevables à agir (à titre d’exemples : Cass. soc., 20 avr. 2023, nº 23-40.003 ; Cass. Soc ; 22 nov. 2023 n°22-14.807).