Manquement à l’obligation de sécurité : questions de compétence juridictionnelle
SOCIAL | Accident, maladie et maternité | Contrôle et contentieux
La Cour de cassation délimite une nouvelle fois la compétence de chaque juridiction dans le cadre de l’indemnisation des préjudices résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. Elle rappelle que la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail. En revanche, relève de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire, l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, qu’ils soient ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
par Marie Paulin, Avocate et Oumy Seydi, Juriste en droit social, Ogletree Deakins, cabinet dédié au droit social
Le 30 novembre 2023
Extrait de l’article :
Soc. 15 nov. 2023, F-B, n° 22-18.848
Introduction
1. L’obligation de sécurité constitue une pierre angulaire de la relation de travail, imposant à l’employeur la mise en œuvre de toutes les mesures nécessaires pour prévenir et évaluer les risques professionnels, ainsi que la mise en place d’actions de prévention. Cette responsabilité est particulièrement large en ce qu’elle ne se limite pas à la sécurité du matériel auquel le salarié pourrait être exposé mais couvre tous les champs des conditions de travail (temps de travail, organisation de travail, relations de travail etc…).
Tout manquement de l’employeur à son obligation de sécurité expose le salarié à des préjudices, soulevant la question de la compétence de la juridiction prud’homale pour les indemniser, notamment lorsque ces manquements sont invoqués en parallèle ou comme source d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
La Cour de cassation, dans la continuité de sa jurisprudence, rappelle que la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail. En revanche, relève de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire, l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, qu’ils soient ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Cet arrêt délimite une nouvelle fois la compétence de chaque juridiction dans le cadre de l’indemnisation des préjudices résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
2. Au cas d’espèce, un salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Il avait introduit une action en reconnaissance de maladie professionnelle devant la juridiction de sécurité sociale puis a, parallèlement, formulé une demande d’indemnisation auprès de la juridiction prud’homale. Devant le conseil de prud’hommes, il présentait, d’une part des demandes liées à son licenciement et d’autre part, un préjudice distinct de la rupture lié à un manquement de son employeur à son obligation de sécurité, caractérisé selon lui par trois points : un dépassement de la durée moyenne hebdomadaire de travail, des visites médicales insuffisantes et des conditions de travail dangereuses.
Le conseil de prud’hommes a sursis à statuer sur les demandes liées à la rupture du contrat de travail, dans l’attente de l’arrêt de la cour d’appel portant sur l’origine professionnelle de la maladie, et s’est déclaré incompétent sur la demande de dommages-intérêts distincts pour violation de l’obligation de sécurité. Il retient en effet que, sous couvert d’une action en responsabilité contre l’employeur pour manquement à l’obligation de sécurité, le salarié demande en réalité la réparation du préjudice né d’une maladie professionnelle le concernant, matière qui relève de la compétence exclusive de la juridiction des affaires de sécurité sociale.
La cour d’appel quant à elle, valide l’argumentaire des premiers juges concernant le manquement à l’obligation de sécurité fondé sur les conditions de travail dangereuses et le temps de travail, mais se déclare compétente pour juger du préjudice distinct, fondé sur l’insuffisance des visites médicales. Elle a ainsi constaté que sur les deux premiers moyens visant à caractériser le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, la demande de dommages-intérêts du salarié reposait sur une violation des conditions de travail habituelles, notamment en termes de repos et d’horaires de travail, en concluant que la juridiction prud’homale n’avait pas la compétence pour statuer sur ce point.
3. Le salarié se pourvoit alors en cassation : il soutient que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à réparation.
Rappelons, à ce titre, que la Cour de cassation, reprenant l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne des dispositions communautaires relatives à l’aménagement du temps de travail, a considéré dans un arrêt récent que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire constitue, en tant que tel, une violation du droit européen ouvrant droit à indemnisation, sans qu’il soit besoin de démontrer en outre l’existence d’un préjudice spécifique (Soc. 11 mai 2023, n° 21-22.281 B, D. 2023. 1013 ; ibid. 1538, chron. S. Ala, M.-P. Lanoue et M.-A. Valéry ; RTD civ. 2023. 702, obs. J. Klein ).
Dès lors, selon le salarié, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité en lien avec les règles de repos et les horaires de travail, bien qu’également invoqué dans le cadre d’une instance relative à une maladie professionnelle, caractérise par lui-même un préjudice spécifique distinct de la maladie professionnelle dont devrait se saisir les juges prud’homaux.
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