Le nouveau droit des congés payés réécrit par la Cour de cassation

SOCIAL | Temps de travail
Par une série d’arrêts rendus le 13 septembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation écarte certaines dispositions du droit français non conformes au droit européen en matière de congés payés.
par Cécile Martin, Avocate Asssociée, Daniella Dellome, Knowledge Manager, Faustine Didier-Cherpitel, Juriste apprentie en droit social, Ogletree Deakins, cabinet dédié au droit social.

 

Extrait de l’article* :
En contradiction directe avec le droit national en vigueur, la Cour ouvre de nouveaux droits en faveur des salariés.

Désormais :

  • les salariés dont le contrat de travail est suspendu en raison d’une maladie, que celle-ci soit d’origine professionnelle ou pas, continuent à acquérir des droits à congés payés durant cette période (Soc. 13 sept. 2023, n° 22-17.340, D. 2023. 1595 ) ;
  • l’acquisition de congés payés en raison d’une maladie ou d’un accident professionnel n’est pas limitée à un an (Soc. 13 sept. 2023, n° 22-17.638, D. 2023. 1594 ) ;
  • à l’issue d’un congé parental d’éducation, les congés payés précédemment acquis doivent être reportés (Soc. 13 sept. 2023, n° 22-14.043, D. 2023. 1598 ) ;
  • la prescription de ce droit ne court qu’une fois que l’employeur a mis le salarié en mesure d’exercer ses droits à congés payés (Soc. 13 sept. 2023, n° 22-11.106).

Le constat d’une contradiction existante entre le droit interne et le droit européen

La directive européenne 2003/88/CE du 4 novembre 2003 relative au temps de travail énonce en son article 7 que « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales ». La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a déjà eu l’occasion de rappeler que les États membres sont tenus de transposer les dispositions de l’article 7 de la directive de 2003 au sein de leur droit interne afin d’en assurer leur pleine effectivité (CJUE 24 janv. 2012, Dominguez, aff. C-282/10, Dalloz actualité, 24 févr. 2012, obs. L. Perrin ; D. 2012. 369  ; ibid. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; JA 2012, n° 454, p. 12, obs. L.T.  ; RDT 2012. 371, obs. M. Véricel  ; ibid. 578, chron. C. Boutayeb et E. Célestine  ; RFDA 2012. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci  ; RTD eur. 2012. 490, obs. S. Robin-Olivier  ; ibid. 2013. 677, obs. F. Benoît-Rohmer  ; Rev. UE 2014. 243, chron. E. Sabatakakis ).

Le droit à congés payés est reconnu comme étant un principe essentiel du droit social communautaire (CJUE 6 nov. 2018, aff. C-569/16 et C-570/16, Bauer et a.Dalloz actualité, 12 nov. 2018, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2018. 2165  ; ibid. 2019. 559, étude C. Fernandes  ; RDT 2019. 261, obs. M. Véricel  ; RTD eur. 2019. 387, obs. F. Benoît-Rohmer  ; ibid. 401, obs. F. Benoît-Rohmer  ; ibid. 693, obs. S. Robin-Olivier ). Rappelons que la justice européenne est constante sur l’exigence de l’effectivité de ce droit, qui appartient au socle des droits sociaux fondamentaux de tous les travailleurs européens, et qui a une double finalité : celle de permettre aux travailleurs de se reposer par rapport à l’exécution des tâches leur incombant selon leur contrat de travail (droit au repos), mais également le droit de disposer d’une période de loisirs et de détente (droit au loisir) (CJUE 13 janv. 2022, aff. C-514/20, RDT 2022. 392, obs. M. Véricel ). En cela, le droit à congés payés ne s’entend pas uniquement, en droit européen, comme un droit compensant la fatigue liée au travail, mais également le droit de tout travailleur d’avoir un équilibre salutaire entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle.

En conséquence, la CJUE impose une conception extensive de l’acquisition de ce droit à congés pendant les périodes de suspension du contrat de travail lorsque celles-ci sont indépendantes de la volonté du travailleur.

Ainsi, elle n’opère aucune distinction entre les travailleurs ayant effectivement travaillé et ceux ayant été en arrêt pour cause de maladie, professionnelle ou pas, au cours de la période de référence pour le calcul du droit à congés payés (CJUE 20 janv. 2009, aff. C-350/06 et C-520/06, Schultz-Hoff et a., AJDA 2009. 245, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert  ; RDT 2009. 170, obs. M. Véricel  ; RTD eur. 2010. 673, chron. S. Robin-Olivier  ; Rev. UE 2014. 296, chron. V. Giacobbo-Peyronnel et V. Huc ).

En effet, l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne pose comme principe que « Tout travailleur a droit à une période annuelle de congés payés ». La rédaction de cet article, érigé sous forme de principe fondamental, ne semble pas permettre, de prime abord, son application directe au sein des ensembles normatifs nationaux. Pourtant, la CJUE estime que ce texte est doté d’un effet direct horizontal (CJUE 6 nov. 2018, aff. C-684/16, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, AJDA 2019. 559, étude C. Fernandes  ; RDT 2019. 261, obs. M. Véricel  ; RTD eur. 2019. 401, obs. F. Benoît-Rohmer  ; ibid. 651, étude L. He  ; ibid. 693, obs. S. Robin-Olivier ). En conséquence, en cas d’impossibilité d’interpréter les dispositions nationales d’une manière à garantir les droits des salariés en matière de congés payés, il incombe à la juridiction nationale de laisser ladite règlementation nationale inappliquée (CJUE 6 nov. 2018, aff. C-569/16 et C-570/16, Bauer et a., préc.).

L’absence de conformité du droit français au droit européen avait fait l’objet, de longue date, d’alertes répétées de la part de la Cour de cassation dans ses rapports successifs (Rapport annuel de la Cour de cassation, 2013, p. 64 s. ; ibid., 2014, p. 43 s. ; ibid., 2015, p. 33 s., et, après les arrêts rendus par la CJUE le 6 nov. 2018 quant à l’effet direct de l’art. 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [voir ci-après], Rapport annuel de la Cour de cassation, 2018, p. 98 s.), qui avait incité le législateur à se saisir de cette non-conformité. C’est le cas notamment de l’article L. 3141-3 du code du travail, lequel lie le droit à l’acquisition de droits à congés payés au temps de travail effectif, si bien que les périodes de suspension du contrat de travail ne sont en principe pas retenues pour le calcul des congés payés. Notamment, les périodes d’arrêts de travail pour maladie non professionnelle n’ouvraient pas droit à l’acquisition de nouveaux congés (Soc. 10 déc. 2014, n° 13-17.743, RTD eur. 2015. 348-3, obs. B. Le Baut-Ferrarese ), sauf dispositions conventionnelles plus favorables. A contrario, lorsqu’elles sont assimilées à un temps de travail effectif, les périodes d’absence ouvrent bien droit à l’acquisition de congés payés. Par exemple, l’article L. 3141-5 du code du travail prévoit que les périodes de suspension du contrat de travail en situation de maladie ou d’accident professionnel ouvrent bien droit à congés payés. Il fixe cependant une limite d’un an à ce droit. Au-delà, le salarié toujours en arrêt de travail, et dont le contrat reste suspendu, cessait d’acquérir de nouveaux droits à congés (Soc. 2…

 

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