Cass. 2ème civ., 28 mai 2025, n° 23-13.796
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation considère que, lorsque les garanties de prévoyance sont maintenues au titre de la portabilité, l’ancien salarié a droit aux prestations d’assurance au delà de la période de portabilité, lorsque la maladie/invalidité survenant après cette date est consécutive à un premier arrêt de travail survenu pendant cette période de portabilité et indemnisé à ce titre par l’organisme assureur. |
- Rappel du cadre juridique
La loi instaure une obligation pour l’employeur de souscrire à des garanties collectives complémentaires (décès, prévoyance, invalidité, incapacité, etc.) au bénéfice de ses salariés. Ces garanties complémentaires font l’objet d’une couverture d’assurance au profit des salariés pendant toute la durée leur contrat de travail. Sous certaines conditions, ils ont droit au maintien de ces garanties, par l’organisme assureur après la cessation de leur contrat de travail, durant une durée de douze mois au maximum, en application de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale.
Selon la même logique de protection du salarié, l’article 7 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, dite « Évin », prévoit que la résiliation ou le non-renouvellement du contrat d’assurance souscrit par l’employeur au profit de ses salariés est « sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant son exécution ».
La jurisprudence a précisé ce dispositif protecteur en indiquant que la rupture du contrat de travail (hors faute lourde et démission) ne fait pas obstacle au maintien des prestations en cours de service lorsque le fait générateur du bénéfice des prestations est acquis ou né pendant la relation d’emploi.
L’arrêt commenté du 28 mai 2025 marque une nouvelle étape dans cette extension légale et jurisprudentielle du champ d’application des garanties collectives, en permettant à un ancien salarié de bénéficier de la poursuite ou de la reprise des prestations versées par l’organisme assureur, lorsque le fait générateur d’une prestation est acquis ou né durant la période de portabilité.
- Les faits
Une salariée, ayant quitté l’entreprise en juillet 2016, bénéficiait de la portabilité des garanties de prévoyance collective en vigueur dans l’entreprise jusqu’en janvier 2017. Placée en arrêt de travail en octobre 2016, elle a perçu des prestations de sécurité sociale et des indemnités journalières complémentaires de la part de l’organisme assureur au titre de son incapacité de travail jusqu’en mars 2018. Elle a ensuite perçu des allocations chômage entre mars 2018 et septembre 2018 puis, en septembre 2018, a subi une rechute de sa maladie entrainant à nouveau une incapacité de travail, suivie d’un classement en invalidité par la Sécurité sociale en octobre 2019.
L’assureur des garanties a alors refusé de reprendre l’indemnisation pour la période postérieure à mars 2018, au motif que ce nouvel arrêt de travail de septembre 2018 était survenu après la fin de la période de portabilité en janvier 2017. L’assureur retient en effet que la salariée a été placée en arrêt de travail en septembre 2018 et qu’à cette date, peu importe le lien de ce nouvel arrêt de travail avec son arrêt de travail précédent, dès lors que cette rechute intervient douze mois après la cessation du contrat de travail et donc postérieurement à la fin de la période de portabilité des garanties collectives. L’organisme assureur – et la Cour d’appel – d’en conclure que la salariée n’était plus couverte par ces garanties et n’ouvrait pas droit aux prestations.
- Solution retenue par la Cour de cassation
La Cour de cassation considère dans cet arrêt que l’organisme assureur ne pouvait pas valablement refuser de prendre en charge l’indemnisation litigieuse dans la mesure où l’incapacité de travail puis l’invalidité trouvaient leur origine dans une pathologie déclarée et indemnisée pendant la période de couverture. En effet, si l’arrêt de travail du mois de septembre 2018 n’est certes pas compris dans la période de portabilité, la Cour de cassation invite les juges du fond à rechercher si l’arrêt de travail de septembre 2018 et le classement en invalidité intervenu en octobre 2019 ne sont pas consécutifs à la pathologie initiale ayant donné lieu au premier arrêt de travail survenu pendant la portabilité et indemnisé à ce titre par l’organisme assureur.
On notera que l’arrêt de la Cour d’appel est cassé pour défaut de base légale et non pour violation de la loi : la Cour de cassation affirme ainsi qu’elle entend exercer un contrôle normatif sur les arrêts de Cour d’appel rendus au visa de l’article L.911-8 du Code de la sécurité sociale, celles-ci étant invitées à à motiver attentivement leurs décisions.
L’on relèvera par ailleurs le raisonnement de la deuxième chambre civile fondé sur « les objectifs poursuivis par le législateur », lorsque celui-ci a instauré la portabilité, à savoir la facilitation des transitions professionnelles et la sécurisation des parcours au profit des salariés dont le contrat de travail est rompu dans des conditions ouvrant droit à l’assurance chômage.
Afin de donner leur plein effet à ces objectifs, la Haute Cour conclut que l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale doit être interprété en ce sens que la cessation de la période de portabilité des garanties est sans effet sur le droit au versement des prestations, qu’elles soient immédiates ou différées, dès lors qu’elles sont nées ou acquises pendant la relation de travail ou durant la période de portabilité
En définitive, cette jurisprudence, consolide les droits des salariés en matière de protection sociale complémentaire, y compris après leur départ de l’entreprise.