Cass. soc., 25 sept. 2024, no 23-11.860 FS-B
En l’espèce, un salarié est licencié pour faute grave pour avoir échangé, avec d’autres personnes, au moyen d’une messagerie professionnelle installée sur l’ordinateur mis à sa disposition par l’entreprise, des mails à caractère sexiste et dégradant envers les femmes. La cour d’appel de Versailles, infirmant alors le jugement rendu par le conseil de prud’hommes, en se fondant sur les articles L. 1121-1 du Code du travail et 10§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’arrêt constate par ailleurs que les propos litigieux avaient été échangés lors d’une conversation privée avec trois personnes au moyen de la messagerie professionnelle installée sur son ordinateur professionnel, dans un cadre strictement privé, sans rapport avec l’activité professionnelle.
La société se pourvoit en cassation, soutenant que l’exercice des libertés énoncées par l’article 10 de la CEDH peut être soumis à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi. La société reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si la sanction de la diffusion par un salarié, depuis sa messagerie professionnelle, d’images et propos au contenu stigmatisant et attentatoire à la dignité de la femme à l’adresse d’au moins un de ses subordonnés, n’était pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. Elle fait également grief à l’arrêt de ne pas avoir déduit des articles 10 de la CEDH et L. 1121-1 du code du travail que le salarié jouit de sa liberté d’expression dans l’entreprise dans la limite de l’abus, et d’avoir retenu que les mails litigieux avaient un caractère privé, alors qu’ils avaient été émis depuis la messagerie professionnelle du salarié, à destination d’un des salariés de l’entreprise des tiers à celle-ci, de sorte qu’ils se rattachaient nécessairement à la vie professionnelle.
La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur, confirmant ainsi la nullité du licenciement. En se fondant sur les articles 8 de la CEDH, 9 du Code civil, et L. 1121-1 du code du travail, elle considère que le salarié a droit, même au temps et lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée, qui implique le secret des correspondances. Dès lors, l’employeur ne saurait se fonder sur des messages personnels émis par le salarié au moyen d’un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, dans un cadre strictement privé et sans rapport avec l’activité professionnelle, pour le sanctionner. De plus, elle rappelle qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, à moins qu’il ne constitue un manquement à une obligation de son contrat de travail, un licenciement disciplinaire. La cour considère alors que cette conversation étant de nature privée n’ayant pas vocation à être rendue publique, et ne constituant pas un manquement du salarié à l’une des obligations découlant de son contrat de travail, le licenciement encourt la nullité.
Cette solution démontre la volonté accrue de la Cour de cassation de protéger l’intimité de la vie privée des salariés. C’est également que qu’avait déjà illustré un arrêt du 6 mars 2024 (n°22-11.016), dans lequel ce fondement a permis de priver de cause réelle et sérieuse un licenciement fondé sur des propos explicitement racistes et xénophobes envoyés par un salarié sur sa messagerie professionnelle.
La solution aurait inévitablement été différente si le salarié avait tenu de tels propos publiquement dans l’entreprise en présence d’autres salariés qui s’en seraient plaints (Cass. Soc 8 nov. 2023 n°22-19.049).
La jurisprudence se montre très protectrice des conversations privées, quand bien même celles-ci seraient issues de la messagerie professionnelle du salarié, et ne semble accorder qu’une faible importance au contenu des propos litigieux : malgré leur caractère sexiste et dégradant, le seul fait que cette conversation ait été privée la place en dehors du pouvoir disciplinaire de l’employeur, et ne peut justifier un licenciement.