Cour de cassation, Chambre sociale, 8 janvier 2025 – n° 23-12.574
L’articulation entre l’obligation de sécurité de l’employeur et la protection du statut de certains salariés dits « protégés » en raison du mandat dont ils sont investis peut donner lieu à des arbitrages dont la mise en œuvre peut s’avérer complexe et couteuse en cas d’erreur d’appréciation.
L’arrêt d’espèce illustre cette conciliation sensible. Au cas particulier, un salarié, nommé délégué syndical, est mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, à la suite de la dénonciation à la direction d’un comportement déplacé à connotation sexuelle. Etant « salarié protégé » au regard de son statut de délégué syndical, l’employeur est contraint d’obtenir en amont l’autorisation de l’administration pour procéder à son licenciement. La demande d’autorisation de licenciement est cependant refusée par l’inspection du travail.
L’employeur saisi le tribunal administratif et forme un recours en annulation contre cette décision de refus – décision qui sera in fine annulée par le juge administratif. Entre temps, le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en invoquant notamment l’absence de réintégration dans son emploi. Le salarié saisit ensuite le conseil de prud’hommes afin que la prise d’acte de la rupture de son contrat prenne les effets d’un licenciement nul au regard de la violation de son statut protecteur.
Statuant sur la demande de prise d’acte du salarié, tant le conseil de prud’hommes que la cour d’appel de Paris, rappellent que l’employeur n’est exonéré de son obligation de réintégration que s’il prouve s’être trouvé dans l’impossibilité totale et insurmontable de redonner un emploi au salarié protégé. Les juges du fond d’en déduire que les attestations de salariés décrivant le comportement problématique du salarié (attitudes insistantes, contacts physiques non recherchés comme des baisers proches des lèvres, caresses dans le dos, etc.) ne caractérisent pas une impossibilité totale et insurmontable de reclassement.
Les juges du fond considèrent ainsi l’absence de réintégration du salarié comme une violation de son statut protecteur et jugent que la prise d’acte de la rupture du contrat de son travail doit produire les effets d’un licenciement nul.
L’employeur, dans le cadre de son pourvoi, se place sur le terrain de ses obligations de sécurité et de prévention du harcèlement sexuel : il fait valoir qu’il se trouvait dans l’impossibilité de réintégrer le salarié au regard des actes qu’il a commis et du risque que sa réintégration peut faire courir aux autres salariés et considère que les juges du fond auraient dû prendre cet élément en considération dans le cadre de leur contrôle.
Sans surprise, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris. Sur le fondement des obligations de sécurité et de prévention du harcèlement sexuel dans l’entreprise, la Cour de cassation rappelle que l’impossibilité de réintégrer le salarié peut résulter du risque que sa réintégration peut faire courir aux autres salariés. La Cour de cassation reproche ensuite à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si ces obligations de sécurité et de prévention du harcèlement sexuel, au cas d’espèce, ne rendaient pas impossible la réintégration du salarié.
Il appartiendra donc à la cour d’appel de renvoi, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, d’effectuer cet arbitrage entre les obligations de sécurité et de prévention de l’employeur d’une part et le droit à réintégration du salarié protégé d’autre part, dans le sillage d’une jurisprudence désormais établie selon laquelle l’obligation de sécurité de l’employeur peut justifier une impossibilité de réintégration d’un salarié protégé injustement licencié (Cass. soc., 1er décembre 2021 n° 19-25.715).