En cas d’absence de cause réelle et sérieuse au licenciement prononcé, le juge octroie une indemnité au salarié à la charge de l’employeur. Depuis l’instauration du barème d’indemnisation par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, le montant de cette indemnité varie en fonction de l’ancienneté du salarié et du franchissement du seuil d’effectifs de 11 salariés dans l’entreprise. Il correspond à un nombre de mois de salaire et bénéficie d’un plancher et d’un plafond. Le juge détermine ainsi le montant compris entre l’indemnité minimale et l’indemnité maximale dues au salarié.
Toutefois, depuis l’entrée en vigueur de ce barème, celui-ci connait de nombreuses contestations et certaines juridictions prud’homales refusent de l’appliquer. Par conséquent, les avis du 17 juillet 2019[1] rendus par la Cour de cassation en la matière étaient fortement attendus.
L’enjeu du débat
Il est reproché à l’instauration de ce barème de ne laisser qu’une faible marge d’appréciation aux juges pour les anciennetés les moins longues, allant de 3 à 5 mois de salaire pour une ancienneté de 4 ans ou également de 3 à 3,5 mois de salaire pour une ancienneté de 2 ans par exemple. Le barème serait dissuasif en ce qu’il permet à un employeur de licencier de manière injustifiée sans craindre une sanction trop lourde. Enfin, seul le critère de l’ancienneté permet de créer une différence entre les salariés, ce qui ne serait pas suffisant et méconnaîtrait alors le principe d’égalité devant la loi.
Le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel ont pu se prononcer et confirmer l’application du barème[2]. D’une part, le barème ne ferait pas obstacle à ce que les juges déterminent le montant de l’indemnité et d’autre part, celui-ci s’écarterait pour laisser une seconde voie lorsque le licenciement est nul prenant ainsi en compte des critères supplémentaires afin de déterminer le montant octroyé[3].
Toutefois, la question de la conventionnalité du barème s’est posée et a entraîné un enjeu supplémentaire. Cette question n’est pas nouvelle en Europe, le Comité européen des Droits sociaux (CEDS) a déjà remis en cause le barème instauré en Finlande le 8 septembre 2016 au motif que les indemnités octroyées ne seraient pas en rapport avec le préjudice subi[4].
Ainsi, les juridictions prud’homales ont commencé à adopter des décisions divergentes, certaines refusant d’appliquer le barème et d’autres reconnaissant son application. Depuis, une véritable insécurité juridique s’est dessinée pour les justiciables. L’enjeu est ici important puisque le barème impacte la majorité des contestations devant les conseils de prud’hommes, c’est-à-dire, la reconnaissance d’un licenciement injustifié mais aussi toutes les requalifications en licenciement sans cause réelle et sérieuse (prise d’acte, résiliation judiciaire, inaptitude, rupture d’un contrat à durée déterminée requalifié en contrat à durée indéterminée[5], insuffisance professionnelle[6], rupture d’un contrat de sous-traitance requalifié en contrat de travail[7]…).
L’historique de la résistance des conseils de prud’hommes
Le premier conseil de prud’hommes (CPH) résistant à l’application du barème d’indemnisation a été celui de Troyes le 13 décembre 2018[8], suivi rapidement par les CPH d’Amiens et de Lyon[9].
Les mois suivants de nombreux CPH ont suivi cette tendance. Ainsi, les CPH d’Angers, d’Agen, de Paris, de Dijon, de Bordeaux, Martigues et de Montpellier ont écarté l’application du barème et ont octroyé des indemnités excédant le plafond prenant en compte la situation personnelle du salarié[10]. Les CPH de Lyon et d’Amiens ont confirmé leurs positions de ne pas appliquer le barème prévu par l’article L. 1235-3 du Code du travail[11].
Toutefois, certaines juridictions prud’homales se sont déchirées, tel est le cas du CPH de Grenoble dont la section industrie a écarté l’application du barème, tandis que la section activités diverses semble adopter une position moins tranchée[12].
On compte ainsi une vingtaine de jugements se prononçant sur l’application du barème d’indemnisation. Parmi eux, ceux remettant en cause l’application sont en majorité par rapport à ceux l’admettant[13] et deux jugements la nuancent en fonction du préjudice à réparer[14].
Les arguments avancés par les conseils de prud’hommes
Pour rappel, le contrôle de conformité de la loi aux textes internationaux appartient aux juridictions ordinaires[15], tel que le conseil de prud’hommes.
Les différents arguments avancés par les conseils de prud’hommes à l’encontre de l’application du barème d’indemnisation consistent à rappeler dans un premier temps le principe constitutionnel selon lequel « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois » prévu par l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958.
Ensuite, la majorité des juridictions prud’homales s’est appuyée sur l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) du 22 juin 1982, selon lequel « si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée », l’article 8 visant les juridictions du travail.
La Cour de cassation reconnait de manière constante l’applicabilité directe de cette convention[16] mais ne s’est jamais prononcée sur l’article 10.
Egalement, l’applicabilité de l’article 24 de la Charte sociale révisée du 3 mai 1996 a été soulevée par certaines juridictions. Selon cet article, « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître (…) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».
Cet article ne fait toutefois pas l’unanimité devant les juridictions, son invocabilité pouvant faire défaut. En effet, certaines lui reconnaissent son effet direct « horizontal » – c’est-à-dire entre particuliers – et d’autres non au motif que « les Parties » visaient dans l’article correspondent aux Etats signataires, seul un effet direct « vertical » est donc reconnu à la Charte.
Certaines juridictions prud’homales se sont appuyées sur la décision du CEDS du 8 septembre 2016 pour donner une interprétation à la notion d’indemnité adéquate prévu par l’article 24 de la Charte. Selon cette décision, le plafond de 24 mois d’indemnisation prévu par la loi finlandaise serait contraire au texte.
En s’appuyant sur ces deux articles, la législation nationale doit assurer une indemnité adéquate ou une réparation appropriée au salarié qui serait licencié pour un motif injustifié. Selon les conseils de prud’hommes, le barème d’indemnisation prévu à l’article L. 1235-3 du Code du travail ne respecterait pas ces dispositions. Il est avancé que le plafond ne permettrait pas aux juges de prendre en compte la situation du salarié pour réparer le préjudice subi, puisque seul le critère de l’ancienneté permettrait de moduler le montant de l’indemnité. Le barème s’avérerait ne pas être dissuasif pour les employeurs, voire même il sécuriserait davantage ces derniers et découragerait ainsi les salariés à agir en justice pour faire valoir leurs droits. Le barème ne permettrait donc pas d’obtenir une indemnité appropriée et réparatrice du licenciement prononcé sans cause réelle et sérieuse. De ce fait, le barème serait inconventionnel au regard de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT et de l’article 24 de la Charte sociale européenne.
Enfin, certains ont avancé comme argument que le barème serait contraire au droit au procès équitable prévu par l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) du 4 novembre 1950. En effet, ce droit ne serait pas garanti puisque le pouvoir du juge se retrouverait fortement limité, étant contraint de fixer le montant de l’indemnité entre un plancher et un plafond prévus par l’article L. 1235-3.
D’autres juridictions ont apporté une nuance dans l’application du barème d’indemnisation. En outre, les CPH de Grenoble et de Longjumeau ont repris les articles 10 de la Convention n°158 de l’OIT et 24 de la Charte sociale européenne, mais ont apporté une lecture au regard de la décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2018, reconnaissant la constitutionnalité du barème. De ce fait, le barème serait contraire aux textes internationaux lorsque la réparation du préjudice subi ne serait pas adéquate, nécessitant ainsi un montant excédant le plafond prévu, et que le salarié ne relève pas d’une exception prévue par l’article L. 1235-3-1 (licenciement nul). Il appartiendrait ainsi au salarié de démontrer l’existence d’un tel préjudice dont le barème ne pourrait pas réparer de manière appropriée. L’interprétation donnée par ces juridictions rendrait ainsi le barème facultatif.
La saisine pour avis de la Cour de cassation
Face à ce constat et à l’insécurité juridique que cela a pu créer, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a été saisie, comme nous l’anticipions il y a plusieurs mois, et ce, contrairement à l’avis majoritaire de la doctrine, par deux demandes d’avis transmises respectivement par les CPH de Louviers et de Toulouse. Ces demandes portent sur la conventionnalité du barème d’indemnisation au regard de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, de l’article 24 de la Charte sociale européenne et de l’article 6 de la CEDH.
Avant de pouvoir apporter une réponse sur l’application du barème, il est question de se demander dans un premier temps si la Cour de cassation peut procéder à un contrôle de conventionnalité lors d’un avis. En effet, la Haute juridiction s’était déjà prononcée sur la question de la compatibilité de dispositions de droit interne avec des textes internationaux. Elle avait refusé une nouvelle fois plus récemment en 2017[17] d’effectuer le contrôle de conventionnalité puisque celui-ci ne relève pas de la procédure d’avis, prévues par les articles 1031-1 et 1031-2 du Code de procédure civile, mais de l’office du juge du fond.
Si la Cour se prononce, il convient de se poser la question de l’applicabilité des textes précités et leur application afin de pouvoir faire suite à un contrôle de conventionnalité. Sur l’article 6 de la CEDH, son effet direct n’a jamais véritablement fait l’objet d’un débat, la CEDH faisant partie de l’ordre juridique interne. Néanmoins, son application ici a pu soulever des questions.
Sur l’application des article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT et 24 de la Charte sociale européenne, celle-ci n’est pas contestée puisque la véritable question porte sur l’indemnité adéquate fixée par une juridiction du travail. Néanmoins, la question centrale découlant du contrôle de conventionnalité porte sur leur applicabilité. Le Conseil d’Etat a déjà reconnu un effet direct de manière générale à la Convention n° 158 de l’OIT en 2005[18] et à l’article 24 de la Charte sociale européenne en 2014[19], mais cela n’est pas le cas pour la juridiction judiciaire. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de reconnaître l’effet direct « horizontal » de certains articles de la Convention n° 158 mais ne s’est jamais prononcée jusqu’à aujourd’hui sur celui de l’article 10. Quant à l’article 24 de la Charte, son applicabilité était incertaine pour l’ordre judiciaire jusqu’à ces deux avis. Cette solution apportée par la Cour de cassation était donc attendue.
Les conclusions de l’avocate générale à la Cour de cassation
Selon l’avocate générale, la Cour de cassation se doit d’effectuer un contrôle de conventionnalité afin d’ « unifier la jurisprudence en la matière ». La réponse serait ainsi justifiée par le caractère urgent de la situation.
Concernant les trois textes internationaux, elle rejette d’une part l’application de l’article 6 de la CEDH, n’ayant pas vocation à s’appliquer ici puisqu’il ne règle que les questions procédurales, et d’autre part, l’article 24 de la Charte sociale européenne, seul l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT serait suffisamment précis pour être contrôlé.
Selon elle, le barème respecte l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT. Elle développe plusieurs arguments :
- Concernant le barème en lui-même, l’article 10 n’empêche pas un plafonnement et le barème est fondé sur des critères objectifs qui sont l’ancienneté et la taille de l’entreprise ;
- Sur le montant de l’indemnité prévue par le barème, celle-ci s’ajoute à l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement et au préavis. L’avocate générale soulève que le salarié percevra également une indemnité de chômage et qu’il peut être indemnisé pour des préjudices distincts ;
- Concernant le pouvoir du juge, ce dernier est libre d’apprécier la situation du salarié et de déterminer un montant compris entre une indemnité minimale et une indemnité maximale ;
- Concernant le caractère dissuasif du barème, l’employeur fautif est condamné à rembourser six mois d’indemnités chômage et le barème est écarté lorsque le licenciement est nul.
De plus, l’avocate générale rappelle que la Convention n° 158 s’applique à 187 pays n’ayant pas les mêmes protections en matière de rupture de contrat de travail. Les Etats signataires sont donc libres de pouvoir appliquer le système qu’il souhaite dans la mesure où la réparation du préjudice dû à un licenciement injustifié est appropriée.
Ainsi, « le système de sanction du licenciement prévu par la loi nationale ne conduit pas à une réparation manifestement inadéquate ou inappropriée au sens de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT » selon l’avocate générale.
La décision de la Cour et sa portée
La Cour de cassation a interprété le barème d’indemnisation aux regard des textes internationaux comme étant conventionnel.
- Un avis se prononçant sur la conventionnalité d’un texte national
Il est intéressant de noter tout d’abord que la Cour de cassation a déclaré la demande recevable et a accepté d’effectuer un contrôle de conventionnalité dans le cadre d’un avis, rompant ainsi avec sa position antérieure. Elle estime en effet la demande d’avis recevable en ce que son examen implique uniquement « un contrôle abstrait ne nécessitant par l’analyse d’éléments de fait relevant de l’office du juge du fond ».
Cela se justifie en autre par le caractère urgent de la situation, afin de corriger l’insécurité juridique existante et d’apporter un éclairage sur l’interprétation du barème.
- L’application de l’article 6 de la CEDH rejetée et l’applicabilité de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT retenue
Ensuite, pour comprendre ces avis, il faut relever que la Cour de cassation a repris les différents articles sur lesquels les demandes étaient fondées.
Concernant l’article 6 de la CEDH, les avis rendus par l’assemblée plénière écarte son application puisqu’il garantit uniquement des règles procédurales et non des indemnités relatives à un préjudice. La Cour de cassation reprend la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme afin de distinguer « ce qui est d’ordre procédural et ce qui est d’ordre matériel, cette distinction déterminant l’applicabilité ». Ainsi, le barème ne s’intéressant qu’à un droit matériel relatif aux indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, celui-ci ne constitue pas « un obstacle procédural » à un procès équitable protégé par l’article 6 de la CEDH. Il n’a donc pas lieu de s’appliquer.
Quant à l’article 10 de la Convention n° 158, et sans aucun doute réel, la Cour de cassation confirme sa position relative à l’applicabilité directe de la convention, s’étant prononcée jusqu’à maintenant sur d’autres stipulations, en reconnaissant celle de l’article 10. En effet, l’assemblée plénière dans les deux avis mentionnent cet article comme étant « d’application directe en droit interne ».
Enfin, l’assemblée plénière dans ces avis ne reconnait pas l’applicabilité de l’article 24 de la Charte sociale européenne. Il peut sembler regrettable que la Cour de cassation n’ait pas suivi l’interprétation faite par le Conseil d’Etat, mais la solution est justifiée en ce que la Charte ne crée des obligations qu’à l’égard des Etats signataires, de ce fait seul un effet « vertical » peut être reconnu. Néanmoins, la chambre sociale avait déjà pu reconnaître l’applicabilité d’autres stipulations de la Charte ayant une formulation similaire[20]. Ce qui fait défaut à cet article 24, contrairement à d’autres, est son manque de précision pour être d’effet direct. Les avis rendus du 17 juillet 2019 écartent ainsi l’effet direct « horizontal ».
Cette étape de reconnaissance de l’applicabilité et de l’application de ces textes était un préalable nécessaire au contrôle de conventionnalité du barème d’indemnisation.
- Le barème d’indemnisation jugé conventionnel
Les avis rendus par la Cour de cassation ont ainsi reconnu la conventionnalité du barème au motif que les dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail sont compatibles avec l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.
Les avis du 17 juillet 2019 reprennent le terme « adéquat » stipulé dans l’article 10 de la Convention n° 158. Pour la Cour de cassation « le terme adéquat doit être compris comme réservant aux Etats parties une marge d’appréciation ». Le législateur français est ainsi libre de fixer un montant qu’il estime adéquat pour réparer le préjudice subi tel que l’article L. 1235-3 du Code du travail le prévoit.
Pour justifier de cette solution, l’assemblée plénière rappelle dans un premier temps que l’article précité prévoit qu’en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise.
Ensuite, elle rappelle que lorsque la réintégration s’avère impossible, le juge se doit d’octroyer une indemnité qui se trouve être encadrée. L’indemnité prévue par le barème a en effet vocation à réparer le préjudice de la perte d’emploi injustifiée. Le plancher et le plafond permettent un encadrement dans lequel le juge peut évaluer les dommages et intérêts à allouer au salarié en tenant compte de tous les éléments déterminant le préjudice subi tels que l’âge, les qualifications du salarié ou encore le secteur d’activité. Par conséquent, l’indemnité versée au salarié est adéquate en ce qu’elle prend en compte le préjudice subi de la perte d’emploi et laisse une marge d’appréciation pour le juge en cas de préjudice supplémentaire dû à la situation du salarié.
Enfin, le barème s’avère respectueux des dispositions internationales du fait qu’il existe d’autres voies permettant de réparer un préjudice plus important sans se limiter au plafond fixé. En effet, les avis du 17 juillet 2019 rappellent que le barème s’écarte en cas de nullité du licenciement. De plus, le salarié peut demander la réparation de préjudice distinct. C’est en cela que les dispositions nationales respectent les textes internationaux.
En reprenant les arguments avancés par l’avocate générale, la solution de la Cour de cassation est justifiée en ce que le barème d’indemnisation répond à un objectif d’intérêt général dont le plafond ne restreint pas de manière disproportionnée cet objectif.
Le dispositif prévoit donc une indemnité adéquate et une réparation appropriée au regard de l’article 10 de la Convention n° 158, ce qui ne permet pas de déterminer une violation de ces textes.
Il est également intéressant de noter que les avis du 17 juillet 2019 ajoutent que la Charte sociale européenne prévoit une marge d’appréciation aux parties contractantes, c’est-à-dire les Etats signataires, avant d’écarter l’effet direct « horizontal » de l’article 24. Par conséquent, le législateur national est libre de fixer l’indemnité qui serait adéquate.
On peut se demander si la Cour de cassation n’a pas voulu prévoir ici le cas où l’employeur serait responsable d’un service public, à l’encontre duquel l’effet direct « vertical » pourrait être invoqué. Dans ce cas, elle suivrait sans doute la même logique retenue pour l’article 10 de la Convention n° 158, laissant lui aussi une marge d’appréciation à l’Etat. Ainsi, l’assemblée plénière a peut-être voulu éviter tout risque d’inconventionnalité du barème.
- Le barème ne sera-t-il plus dès lors remis en cause par les juges du fond ?
La décision du 17 juillet 2019 n’est toutefois qu’un avis. De ce fait, les juges ne sont pas liés par cette solution et pourront toujours convenir que le barème ne peut s’appliquer. Ils pourront également reconnaître qu’un des articles bénéficie d’une applicabilité directe ou non. En outre, seule une décision rendue au fond par la Cour de cassation pourra donner un sens véritable à l’interprétation du barème au regard des textes internationaux, étant en mesure d’effectuer un contrôle de conventionnalité ayant force contraignante.
Toutefois, ces avis donnent l’orientation que souhaite prendre la Cour de cassation à l’avenir.
Il sera donc à présent intéressant de voir si les cours d’appel de Paris et de Reims vont suivre ces avis ou non le 25 septembre prochain.
De plus, le CEDS devrait rendre une décision, la Confédération générale du travail et Force ouvrière ayant déposé une requête le 26 mars 2018 afin de contester le barème devant lui[21]. Sa décision pourra jouer dans l’appréciation du barème au regard de la Charte sociale européenne, mais le Comité n’est pas une Cour et par conséquent ses décisions n’ont pas de force contraignante.
[1] Cass. ass. plén., avis n° 15012 et n° 15013, 17 juillet 2019.
[2] CE, 7 décembre 2017, n° 415243 et C. const., 21 mars 2018, n° 2018-761 DC.
[3] C. trav., art. L. 1235-3-1.
[4] CEDS, 8 septembre 2016, n° 106/2014, Finnish Society of Social Rights c. Finlande.
[5] CPH Lyon, 21 décembre 2018, n° 18/01238, section activités diverses : le barème ne peut apporter une réparation suffisante au préjudice subi par le salarié qui n’a pu bénéficier des règles relatives à la rupture du CDI.
[6] CPH Paris, 1er mars 2019, n° 18/00964, section activités diverses : le barème est remis en cause.
[7] CPH Bordeaux, 9 avril 2019, n° 18/00659, section activités diverses ; le barème est remis en cause ne pouvant apporter une réparation suffisante au préjudice subi par la salariée qui n’a pu bénéficier des règles relatives à la rupture d’un contrat de travail.
[8] CPH Troyes, 13 décembre 2018, n° 18/00036, section activités diverses.
[9] CPH Amiens, 19 décembre 2018, n° 18/00040, section commerce et CPH Lyon 21 décembre 2018 précité.
[10] CPH Angers, 17 janvier 2019, n° 18/00046, section activités diverses ; CPH Agen, départage, 7 février 2019, n° 18/00049, section industrie ; CPH Paris 1er mars 2019 précité ; CPH Dijon, 19 mars 2019, n° 18/00464, section industrie ; CPH Bordeaux 9 avril 2019 précité ; CPH Martigues, 26 avril 2019, n° 18/00659, section activités diverses et CPH Montpellier, 17 mai 2019, n° 18/00152, section activités diverses.
[11] CPH Lyon, 7 janvier 2019, n° 15/01398, section commerce ; CPH Lyon, 22 janvier 2019, n° 18/00458, section industrie, et CPH Amiens, 24 janvier 2019, n° 18/00093, section industrie.
[12] CPH Grenoble, 18 janvier 2019, n° 00989, section industrie et CPH Grenoble, 4 février 2019, n° 18/01050, section activités diverses.
[13] CPH Le Mans, 26 septembre 2018, n° 17/00538, section commerce ; CPH Caen, départage, 18 décembre 2018, n° 17/00193, section commerce ; CPH Le Havre, 15 janvier 2019, n° 18/00318, section commerce et CPH Tours, 29 janvier 2019, n° 18/00396, section commerce.
[14] CPH Grenoble 4 février 2019 précité et CPH Longjumeau, départage, 14 juin 2019, n° 18/00391, section industrie.
[15] Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, n° 73-13.556, Sté des cafés Jacques Vabre et CE, ass., 20 octobre 1989, n° 108243, Nicolo.
[16] Exemples : Cass. soc., 29 mars 2006, n° 04-46.499, Sté Euromédia Télévision concernant les articles 1er, 2 §2 b et 11 de la Convention n° 158 et Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 07-44.124 concernant les articles 4, 7, 9, 2 §2b et 2 §5 de la Convention n° 158.
[17] Cass., avis, 12 juillet 2017, n° 17-70.009.
[18] CE, contentieux, 19 octobre 2005, n° 283471.
[19] CE, 7° et 2° s-s-r., 10 février 2014, n° 358992, Fischer.
[20] Cass. soc., 14 avril 2010, n° 09-60.426 et n° 09-60.429 concernant les articles 5 et 6 de la Charte sociale européenne.
[21] CGT-FO c. France, réclamation n° 160/2018 devant le Comité européen des Droits sociaux, 26 mars 2018.
Jean-Marc Albiol, Cécile Martin et François Millet, Associés et Léa Taurissou, juriste