Demandes nouvelles et effet interruptif de la prescription : nouveaux éclaircissements donnés par la Cour de cassation en matière prud’homale

SOCIAL | Contrôle et contentieux

Dans une série de cinq arrêts rendus le 10 juillet 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation clarifie plusieurs points relatifs à la recevabilité des demandes nouvelles formulées en cours d’instance ou au stade de l’appel, ainsi qu’à l’effet interruptif de la prescription résultant de la saisine du conseil de prud’hommes sur ces nouvelles demandes.

Ces décisions sont rendues à l’aune du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, lequel a abrogé la règle de l’unicité de l’instance prud’homale. La Cour tire ici les conséquences procédurales de cette réforme, à l’aune d’une nouvelle réforme de la procédure d’appel.

par Jean-Marc Albiol, Avocat associé et Hassan Ahtouch, Avocat, Ogletree Deakins, cabinet dédié au droit social

Extrait de l’article :

Pris en application de la loi du 6 août 2015 (dite « loi Macron »), dont l’un des objets principaux était d’accélérer le traitement des procédures prud’homales, le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 a fondamentalement changé les règles procédurales appliquées à la matière (création d’un bureau de conciliation et d’orientation aux pouvoirs renforcés, saisine du conseil de prud’hommes par voie de requête, représentation obligatoire en appel, suppression du principe d’unicité de l’instance, etc.).

Bien que le rapport publié par le ministère de la Justice en mai 2024 démontre que l’objectif de célérité de la justice prud’homale est encore loin d’être pleinement atteint (v. Rapport du ministère de la Justice, Les affaires prud’homales dans la chaîne judiciaire de 2012 à 2022, mai 2024) les justiciables se trouvent néanmoins contraints de s’adapter à ces nouvelles dispositions procédurales, dont certaines interrogations encore demeurent à ce jour sans réponses.

Les arrêts commentés en témoignent de manière éloquente, en abordant notamment la question de la recevabilité des demandes nouvelles et celle de l’effet interruptif de la prescription à la lumière de la suppression du principe d’unicité de l’instance. En effet, depuis le décret du 20 mai 2016, la règle obligeant le demandeur à inclure l’ensemble de ses chefs de demande dans la requête initiale a été abrogée, ce qui entraîne des conséquences directes sur la possibilité de formuler des demandes nouvelles en cours d’instance ainsi que sur les effets interruptifs de la prescription associés à la saisine du conseil de prud’hommes.

La doctrine, également mentionnée par le conseiller rapporteur, s’était longuement interrogée sur les effets de la réforme concernant ces différents sujets (v. M. Gally, Pas d’extension de l’effet interruptif de la règle de l’unicité de l’instance, Dr. soc. 2022. 87  ; S. Mraouahi, Portée de l’effet interruptif de la prescription de l’action prud’homale, RDT 2021. 663 ), en tenant compte du fait qu’il convient désormais d’appliquer les règles de droit commun de la procédure civile.

Les cinq arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation le 10 juillet dernier apportent des éclaircissements tant sur la recevabilité des demandes nouvelles, que ce soit en première instance ou en appel, que sur les effets interruptifs de la prescription de l’acte introductif d’instance sur ces nouvelles demandes.

La recevabilité des demandes nouvelles en cours d’instance ou en cause d’appel

Dans quelle mesure des demandes nouvelles formulées pour la première fois en cours d’instance peuvent-elles être recevables ?

Depuis le décret du 20 mai 2016 et la suppression du principe d’unicité de l’instance, il n’est, en principe, plus possible pour un demandeur de formuler de nouvelles demandes en cours d’instance. Cette possibilité, auparavant prévue par les articles R. 1452-6 et R. 1452-7 du code du travail, a été supprimée par ce décret.

Désormais, il convient d’appliquer les règles de droit commun de la procédure civile, notamment les articles 4 et 70 du code de procédure civile. Selon ce dernier texte, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables « que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ».

Comme l’a rappelé l’avocat général dans son rapport, ces dispositions consacrent en droit positif un principe d’« immutabilité de la demande », selon lequel les éléments du litige ne doivent pas être fondamentalement modifiés au cours d’une même instance. Ce principe vise à prévenir la multiplication de demandes excessives et dilatoires, qui allongent les délais de procédure en rendant nécessaire soit une instruction supplémentaire soit le respect du principe du contradictoire alors que les arguments sur une demande principale ont déjà été échangés.

Ce principe d’immutabilité n’est néanmoins pas absolu, et tant le code de procédure civile que la jurisprudence de la Cour de cassation autorisent l’introduction de nouvelles demandes au cours d’une même instance, dans le but d’éviter la multiplication des procédures judiciaires, ce qui pourrait engorger les tribunaux.

*Pour lire l’article complet cliquez ici.

Soc. 10 juill. 2024, FS-B, n° 23-15.453

Soc. 10 juill. 2024, FS-B, n° 22-20.049

Soc. 10 juill. 2024, FS-B, n° 22-16.805

Soc. 10 juill. 2024, FS-B, n° 23-14.372

Soc. 10 juill. 2024, FS-B, n° 23-14.373

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